"Les debris de Durban, cinq ans plus tard"
Encadré pour donner le contexte
Il y a cinq ans, une cinquantaine de juifs sont arrivés à Durban, en Afrique du Sud pour participer à une Conférence mondiale contre le Racisme organisée par les Nations Unies. Ironie du sort, c’est lors de cette rencontre antiraciste qu’ils subissent l’antisémitisme pour la première fois de leurs vies. La Conférence mondiale contre le Racisme a cristallisé une violence à l’encontre des juifs, à quelques heures des attaques du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis. La brutalité des anathèmes prononcés à Durban, la colère collective qui s’est déchaînée à l’encontre d’Israël, des Etats-Unis et de l’Occident dans son ensemble, résonnent comme un avertissement des temps à venir. A Durban, les Juifs ont été encerclés, physiquement intimidés par des ONGs et maudits de tous les noms: racistes, colonialistes, criminels de guerre et génocidaires du peuple palestinien. Puis, cet épisode a été englouti par une actualité plus brûlante, donnant place aux réalités nouvelles à digérer après le 11 septembre. Cinq ans plus tard, que reste-t-il de Durban et quelles conclusions en tirer pour l’avenir?
Les débris de Durban
Lors de la Conférence des Nations Unies contre le Racisme de Durban, les caméras de toutes les grandes chaînes internationales se tournent dans la direction des participants juifs filmant de près les épisodes antisémites qu’ils subissent. Puis, silence. Les médias remballent leurs rouleaux de films et s’envolent en direction de New York, puis d’Afghanistan pour couvrir la guerre contre terrorisme.
Cinq ans plus tard, la conférence de Durban, oubliée par un grand nombre d’acteurs politiques, s’est surtout ancrée dans la mémoire collective juive. Etonnement, il ne suffit qu’une poignée de Juifs aient vécu un épisode douloureux que voilà – cet évènement se transcrit d’un coup dans la conscience d’un peuple tout entier. Ce degré de transmission s’explique parce que la tempête de Durban aura étalé des débris derrière elle en nous enseignant plusieurs leçons, à la fois sociologique, historique et politique.
D’abord, la leçon sociologique. Durban restera dorénavant une parodie grotesque du "comment" et du "pourquoi" une foule est capable de se rallier en quelques jours à une cause fasciste et haineuse, sous l’influence d’un petit noyau de manipulateurs– à commencer par les membres du comité d’organisation de la Conférence ONG. L’étude de l’histoire nous montre que l’homme est perméable aux idées de son époque et qu’il bénéficie de moins d’indépendance intellectuelle que l’on souhaiterait. Mais il y a cinq ans, notre génération a témoigné ce phénomène de ses propres yeux. Au fil des jours une "morale collective" se tisse à Durban, appelant la société à trier le mal du bien. La masse finit par conclure que bien des maux dans le domaine des droits de l’homme proviennent du fait juif. Puis, l’on se met à racialiser un conflit politique, celui du Proche-Orient. L’on saura dorénavant que la machine des idées peut se mettre en marche et s’enflammer très rapidement. Et que ce mouvement de masse peut même se déclencher sous son propre regard.
Les idées antisémites peuvent ardemment circuler à une vitesse éclaire. Place donc à la leçon historique: la conférence onusienne nous enseigne que l’impossible est encore possible. Que l’antisémitisme est capable de surgir d’un coup, de nulle part et de préférence lorsque l’on ne s’y attendrait pas. Avant Durban, il n’y avait que les anxieux qui estimaient que les Juifs pourraient un jour être de nouveau menacés. Cette éventualité-là ne préoccupait pas la grande majorité de l’opinion publique juive. Malgré la situation fragile au Proche-Orient, le péril contre les Juifs n’était plus existentiel. Or Durban lance le doute sur cette certitude pour la première fois en soixante ans. Cinq ans plus tard, l’actuel président iranien fait un excellent job de nous le rappeler au quotidien.
Troisièmement, Durban révèle empiriquement à quel point l’antisionisme virulent peut être lié à l’antisémitisme. Et qu’il reste une fine frontière, à surveiller de près, entre la diabolisation du peuple israélien et la diabolisation du peuple juif. Que cette distinction s’embrouille dans les esprits de ceux qui expriment parfois leur colère contre la politique israélienne dans le cadre du conflit du Proche-Orient. Cette colère, qu’on l’approuve ou non, est légitime tant qu’elle ne nie pas un peuple tout entier à son droit d’exister. Il appartient ainsi aux Juifs de scruter de près cette démarcation idéologique parce que personne d’autre -et surtout pas les militants des droits de l’homme- ne le feront à leur place. Leçon politique apprise.
Enfin, cette Conférence a confirmé des réalités qui par la suite ont éclaté dans le débat public. C’est à Durban que le monde constate la rhétorique des nombreuses ONGs "crédibles" qui empruntent la terminologie des droits de l’homme pour dénoncer "le mur d’apartheid" ou les israéliens "génocidaires". C’est à Durban que le monde apprend à quel point la circulation des Protocoles des Sages de Sion s’est répandue et ancrée dans la culture populaire arabe. On comprend également à quel point la minimisation de l’Holocauste participe à l’idéologie antisioniste : le concours de caricatures lancé récemment à Téhéran sur l’Holocauste n’est qu’une cristallisation de l’esprit de Durban- et un déjà-vu de toutes les affiches étalées auparavant sur les stands de la conférence onusienne. Autre exemple: c’est à Durban, où des militants du Hamas et du Hezbollah accrédités à la Conférence participent confortablement aux débats, qu’on prend note de la mobilité de ces extrémistes qui se promènent librement à cette rencontre internationale. Cette mobilité, à quelques heures du 11 septembre laisse déjà l’esprit cogiter sur des scénarios potentiellement très menaçants.
De part toutes ces leçons apprises, il est regrettable que Durban ait émoustillé les vieux instincts juifs de rester en état de "haute alerte" et sur la défensive face à son environnement. Car voilà un épisode de plus qui les stigmatise, encore une fois, pour un petit peu plus longtemps. De nos jours, alors que l’intolérance s’accroît et le repli communautaire se creuse, il n’a jamais été aussi urgent de s’ouvrir à l’autre et de lutter contre les préjugés et le racisme. Une fois que la communauté internationale aura examiné en profondeur les circonstances qui ont permis l’éclatement de Durban, l’on pourra empêcher que la bêtise humaine ne se ranime pas aussi facilement à l’avenir.